JOURNAL D'ARMEL VEILHAN AU TRITON
25/03/2016. Thérèse Malengreau - "Les plus beaux concerts sont ceux où j'ai l'impression que je ne joue pas"
Thérèse Malengreau est venue de Bruxelles pour nous offrir une grande heure de musique où cette pianiste amie des arts a réuni différentes œuvres toutes inspirées en leur temps par la contemplation du ciel, des étoiles et du cosmos « Je me suis rendu compte que les compositeurs commencent à observer différemment le ciel après le Nocturne romantique... » me confie Thérèse Malengreau après ce récital imaginé comme une boucle, un jeu avec l'infini. Thérèse Malengreau conçoit le programme de ses concerts un peu à la manière d'un commissaire d'exposition où le choix des pièces, leur enchaînement temporel finit par composer une forme à part entière. Pour ce concert, qu'elle jouait devant nous pour la première fois, son point de départ a été l’œuvre d'André Riotte Météorite et ses métamorphoses qu'elle était venue créer au Triton en 2003 avant d'en faire un disque en 2014 chez Naxos grand piano. « André Riotte m'avait dit pourquoi il avait titré son œuvre Météorite et ses métamorphoses (2001). Il avait dit : Vraiment, moi qui ai toujours élaboré un matériau initial en préalable du travail de la composition, là je n'avais rien préparé... ». C'est pourquoi, me dit Thérèse, cette première pièce devrait être lue comme ces vers de Stéphane Mallarmé Calme bloc ici-bas chu d'un désastre obscur/Que ce granit du moins montre sa chute... C'était vraiment cette expérience là qu'il a eue, me dit-elle après avoir retrouvé la mémoire de ces vers. Et en filant cette métaphore, poursuit-elle, je me suis rendu compte que toute son œuvre qui est une œuvre de 55 minutes, en fait n'est pas un thème et variations, mais vraiment cette pièce qui peu à peu se métamorphose en 31 parties différentes qui s'enchaînent et s'enroulent dans une spirale, chacune procédant de ce qu'on pourrait appeler par analogie une analyse chimique et morphologique d'une météorite : ces composants de pierre et de métal, les dessins qu'on peut y observer à la surface etc... Donc en partant de tout ça je me suis dirigée vers un imaginaire, et bien oui, en quelque sorte, j'ai réalisé que les compositeurs commencent à observer le ciel à la fin du romantisme, après le Nocturne romantique. On part du Nocturne romantique qui est propice aux épanchements, à la mélancolie : le clair de lune de Debussy, le clair de lune de Verlaine Votre âme est un paysage choisi/ Que vont charmants masques et bergamasques/ Jouant du luth et dansant quasi/ Tristes sous leurs déguisements fantasques… et là autre chose se joue : le même Debussy, commence à s'intéresser aux variations atmosphériques, comme dans Brouillards par exemple, bref, de nombreux compositeurs commencent à aller à la découverte du ciel, du cosmos, à en tirer des analogies pour alimenter leur création ou inventer de nouveaux modèles formels.... et du coup, en rassemblant des œuvres du passé – présent, j'ai entendu des échos d'une œuvre à l'autre, trouvé des liens... ». Thérèse Malengreau respire entre les mots, laisse aux phrases le temps de résonner, d'ouvrir des brèches « Si je me rends compte que je suis en train de travailler parce qu'il le faut ou parce qu'il faut obtenir un résultat, mes mains tombent du clavier. Je suis incapable de répéter si je n'y crois pas. J'ai besoin de vivre ce que je suis en train de jouer... ». Elle me parle de son enfance bercée par la vie des arts, de sa mère tournée vers la littérature et qui lui a donné le désir d'écrire, de son grand-père organiste et compositeur, de son parent Jean Delville, peintre symboliste exposé au musé d'Orsay, de son professeur Nicole Henriot- Schweizer, la nièce de Charles Munch qui nous ont laissés une très belle version du concerto en sol de Maurice Ravel. Elle me raconte aussi les heures qu'elle passe dans les bibliothèques « J'y ai fait des découvertes de manuscrits, des perles rares parfois ensevelies sous la poussière... » Lumineuse, Thérèse Malengreau a une manière communicative de vous faire oublier son érudition, de vous emmener dans son travail comme dans une recherche merveilleuse « Mes plus beaux concerts sont ceux où j'ai l'impression que je ne joue pas... où on est tous là autour du piano, ceux qui écoutent et moi sur ma banquette, un peu comme si nous serions tous autour d'une œuvre en train de se faire, en train de s'ériger... ». Enthousiaste et heureux d'écouter sa parole riche d'une sensibilité à fleur de peau, je lui dis qu'il me semble avoir ressenti cette transmission du son, cette verticalité qui offre la possible découverte comme avec cette splendide Courbes d'étoiles III : l'étoile sombre de Kobe de Claude Ledoux qui lui a été redemandée en bis par le public. Les temps sembleraient donc avoir évolués positivement dans l'enseignement de la musique ? Car de mémoire, lorsque j'y étais moi-même élève, le maître-étalon résidait alors dans la performance du virtuose invité comme le génie à imiter. Avec sa magnifique palette sonore, Thérèse Malengreau nous donne le désir d'aller à la découverte de la musique et de nous-mêmes, nous rappelant qu'en art, tout est imagination.